angelo , tyran de padoue avignon 2009
Aller tout en haut du théâtre à l’italienne , en évitant les poteaux , les premiers rangs qui compriment les jambes , les derniers où l’on ne voit plus rien , le bas où tous s’entassent , et s’asseoir pour de bon , jambes pendantes , tête fixée sur le devant , la scène , les trois niveaux , étages , ceux du haut , supérieurs , où rodent les bourreaux , homos de service , déjantés , déculottés et pervers d’opérette , celui du bas , où tout se joue , celui du milieu , trait d’union , lieu de passage , de prise de son . Et voilà partie l’intrigue , la venue des personnage , qui se mêlent , s’emmêlent , se transportent , vont et viennent , se déchirent , il y a ceux qui monteront tout en haut , ceux qui restent en bas , et l’intrigue se développe , chacun en prendra pour son grade , de ci de là , de haut en bas et retour . La tête part sans cesse , suit le fil , les personnages , qui se déplient , se développent , vivent et meurent . Un théâtre comme on l’aime , qui surprend , des personnages qui grandissent , se développent , répondent , tendent leur histoire , s’appartiennent , s’inventent , vont leur trace , immonde ou pas . Certes la putain atteint la gloriole , la gloire , l’efficace et son bas-fond nous va droit au cœur : que d’inventions , de trouvailles , de gestes magnifiques , inattendus , le spectateur découvre , suit , attentif , tenu en haleine , le bien se conjugue à la putain , les autres s’effondrent , disparaissent . Tenir haut ce texte de nos jours tient de l’exploit , du risque magnifique , surmonté , réussi . L’histoire ne prend pas de rides , se conjugue au présent , se traduit dans notre monde , un des bourreaux parle anglais puis français , histoire de se tenir au dehors , comme pour s’écarter , faire comprendre l’impossible , l’inattendu puis revient à notre langue , impromptu , l’autre traduit sa parole puis la traduction redevient inutile , éphémère . Pourtant tout se traduit ici , en langage de nos jours , en paroles qui comptent , traversent , atteignent. Tenir bon ,jusqu’au bout , à la fin, pas de message transcendant , mais des images qui restent , dominent , l’enfer qui se déploie , rouge , barré , et La Tisbe qui l’illumine , le film du bout , qui mélange , aborde , laisse sur place , le trottoir , aux pieds du lion de pacotille, statue brisée , assise pour toujours . Un mélo qui tourne bien parce que fort , dans le bon sens , celui des aiguilles d’une montre , d’une tension qui ne descend pas d’un pouce ni d’un étage . Creuser son enfer , sa cage , sa descente , La Tisbe y réussit bien et atteint l’absolu , le plus pur instant , l’éclosion de la pièce . Le metteur en scène met en scène , en vision , attire les regards , les porte , tend le micro pour qu’on comprenne bien ce qui se trame , se dit , pour que l’essentiel arrive en un murmure chuchoté au bout , aux oreilles . Angelo le tyran reste dans la chambre , enfermé dans sa cruauté d’homosexuel mal venu , La Tisbe atteint le sacrifice ultime , mystique par son amour déchu , Rodolfo saigne par ses meurtres et ne s’en remettra plus , Katarina a la chance de s’endormir et d’échapper au supplice du remords .
Katarina et la Tisbe ne font plus qu’une , sur le film et s’emportent seules au dehors , vers l‘ailleurs , le lion ne rugira plus , Angelo , Rodolfo disparaissent , la femme sort , va vivre ailleurs , au dehors de cet enfermement , de ces crimes atroces , impunis , pervers . D’un bout à l’autre , partir du bas , de la chambre , des chambres , passer par les échafaudages de bas en haute et de haut vers le bas puis tenir bon, face aux grilles , à la mort donnée et renaitre , enfin . Laisser la cage aux folles , aux massacres , aux complots , aux haines qui plantent leur couteau là où elles peuvent , c'est à dire sur elle-même , la Tisbe montre le chemin , prend Katarina et les voilà qui partent ensemble , pour oublier les coups , les trahisons , les hypocrisies , les abominations et passer au dehors , filer dans Paris ou ailleurs , à l’air libre , au-delà du comptoir de bistrot , celui où on assassine , rend coup pour coup , attaque sans vergogne et sans frais . Les trois nivaux , l’échafaudage , les sbires qui traversent les murs , n’existent pas , reste le film , le départ , nouveau , imprévu , inattendu , toute cette mise en scène tient là dessus . Puis partir soi aussi , laisser les lumières s‘éteindre , laisser les échafaudages inutiles où ils sont , pour ce qu’ils sont , des constructions traduites en langues étrangères , de langues à langues , seules restent les haines et leurs accords, alors filer au-delà sur les traces de Katarina La Tisbe , ne plus parler , se voir , croiser un regard un geste , une attitude , ne plus dire un mot et filer loin , le lion est mort , le contourner , les bruits de la rue reprennent cours , place de l’horloge , l’ignoble reste collé dans les escaliers tortueux , reste le pavé , le palais des papes , l’air libre , le silence .