Maison des cerfs Jan Lauwers Avignon 2009

       Maison des cerfs , de paquets de chair qui se jette à la figure , se prennent sur la tête , dans la tête , en plein cœur , en plein ventre , au dessus , au dessous , partout . Qu’est ce que c’est que ces cerfs ? : des cauchemars infinis qui se regroupent forment légion , bataille . Les cerfs se dépècent , tombent , s’entassent saignent dans la forêt , avancent encore , toujours , immobiles , entassés , pendus , jetés , empilés . Où sont passés les cerfs , par où sont-ils passés et comment ? La mort rugit  , hurle et crie , la maman rassure , insiste , ne plie pas , se déplace lentement , parle avec douceur , comme au coin d’un lit , d’un bois , de cerf bien sûr . Cerfs inutiles , mais présents partout , dedans et dehors , gigantesque carnage de tendresse , de haines , de deuils , de meurtres incompris , de bassesse qui n’en peut plus . Les cadavres s‘allongent , se placent les uns à côté des autres , dérisoires , atroces , dans des sacs jaunes qui ne s’ouvrent plus , des sacs atroces , abominables , et qui laissent  s’écouler un effroi de la même couleur . Pourtant tout pétille , rugit , traverse , chante et danse , les acteurs passent , imaginent , apportent , s’emportent , tombent , meurent , se relèvent , jouent la comédie ou la farce , la tragédie ou le martyr . On ne comprend plus rien , l’histoire se mélange , mélange les genres ,  les langues , les paroles , un mot se traduit en un autre , anglais en français , français en anglais et encore un peu de néerlandais ou de flamand par là-dessus , les mots passent bien au-dessus des tas de cerfs , sans les toucher , les atteindre , les mots passent aussi au dessus de là mère  sans la toucher ni l’atteindre , les cauchemars ne se transmettent pas , ne reste que la caresse , l’embrassade , l’enlacement , la consolation . Cette mère-là tient le coup , les coups se brisent à ses pieds, inutiles, dérisoires , elle forme roc , bloc , inamovible , inaltérable . Alors courir autour , se bercer d’illusions , de maisons isolées , de cerfs qui saignent après avoir perdu leurs bois et courent encore , peu importent les mots et ce qu’ils véhiculent, les cauchemars passent , des cerfs pleins la tête , les cauchemars se dissolvent d’un geste , d’un  regard , d’un réveil . La folie ne passera pas , pas plus que la tendresse , le creux , le vide , pas de vide ici , rien que du plein , le moindre creux se remplit d’une carcasse de cerf et en appelle d’autres , les cerfs comme les cauchemars s‘empilent , s’entassent et s’effondrent,  disparaissent dans un tourbillon de voix de chants , de corps qui jaillissent , pétrissent la langue , les langues , les mots et les phrases . Rester ébouriffé sur son siège , on ne comprend rien , si ce n’est que les mots volent au dessus , sur cet écran de traduction , les mots ne font que traduire , porter d‘un bout à l’autre , quel bout ? quel autre ? on ne sait pas , l’autre c’est nous, peut-être , ou plutôt un maillon d’autre , il en viendra d’autres , des autres , après nous ; l’origine , c’est Jan Lauwers, peut-être , surement , ces mots traduits , passés comme on passe d’un cerf à  l’autre , carcasse inutile , insensée , sans tête , dépecée  dépouillées , comme nous plus nus que des vers , arrachés de la surface , reste cette chair blanche et qui se ressemble , s’entasse . Les bois s’empilent au mur , s’y tiennent jusqu’à ce que l’un ou l’autre vienne les retirer , les jeter a la figure de l’autre , violence bue, recrachée , renversée , cul par dessus tête jusqu’ à plus soif , jusqu’au dégueulis , à l’incompréhension . Ne plus rien comprendre , les cauchemars passent , ne plus rien comprendre , ne plus rien prendre avec soi , les cerfs se dépouillent et partent , disparaissent , s’entassent au milieu et le chant monte , ultime , magnifique , un chant à plusieurs , voix rauques , voix sourdes, voix jeunes , voix vieille , voix de cerfs perdus , brames ultimes , les bois sont tombés , reste la tête qui saigne , la nôtre , spectateurs , les bois encombrent , se jettent au dehors , retiennent , ici les bois tombent et laissent place à la cicatrice , à la course sur le plateau , les bois ne reviendront plus , la cicatrice cicatrise , alors monte ce chant à plusieurs , cette voix à plusieurs et plus besoin de traduire , répéter des mots en tous sens , en toutes langues , le chant vient de chacun , se déplie , se déploie sur chaque spectateur , le prend par la main :  regarde , tes bois sont tombés , ta tête est libre de ses mouvements , plus d’entraves , de risque de se blesser , de s’enfoncer les cornes dans un feuillage , un sol , un arbre mort , ta tête tonitrue et s’éveille , enfin : « le monde n’est pas derrière toi , the world is not behind , pourquoi sont-ils sans limites les déserts sans mots ?  ».

     L’acclamation finale se porte sur les bois morts et tombés , les corps qui se dressent et palpitent , se rassemblent , se donnent la main , chaine unie comme des mots dits , prononcés , chantés et enfin compris .

                                             

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :