au bord d'une courbe

Publié le par christophe D'épée

          Un tout petit peu au-delà , à peine  , l’espace d’un doigt , d’un creux , d’un rien . Une toute petite marge , pas une sortie ni une saillie , non , juste cette zone qui se trouve au devant du doigt , de la main  , du corps . Investir là-dedans , dehors , invertir un pas en avant , sur un recours , une attente qui se prolonge , attise les sens puis disparaît , devenue inutile car inefficace , sans objet . Rester immobile , sur un verbe , un mot , puis tenter le mot d’après , comme quand on lève le regard et que se déploie un horizon qui prend fin , tout au bout de ses rayons , des marches , des marques , tout au bout d’un jet de pierre , de l’écho d’un cri , d’une marche aboutie .

 

           Vaincre l’espace , celui du devant , le tenir , s’apprêter à bondir au dedans , rentrer dedans  comme on entre dans un trou d’air , en perdant pied , sens , cul par dessus tête , tête brinquebalante , saillante , blessée , giflée puis à nouveau debout , à l’endroit , comme après un tournebouler , un salto arrière réussi .

 

            Imagines que je sache parler comme ça , histoire de d’atteindre l’espace du devant , les millimètres au delà de mes doigts réunis , fermés puis ouverts , écrire sur une paume ouverte des mots de rien , des mots qui ouvrent les doigts , la retenue , l’insensé : ouvrir l’insensé , imagines , ce serait comme fermer un trou noir , s’apercevoir que la terreur a disparu , que les berges s’accolent et se referment, que les plaies ont cicatrisé , sont devenues innocentes , invisibles .

 

             Imagines quelqu’un qui sache écrire d’une seule main , lettre après lettre , mot après mot , une main qui se délie et apporte un contour , un espace , un transport , quelque chose qui te porte au-delà , un petit bout en avant , celui qui s’échappe . Tu cherches à le retenir et le voilà parti , très loin , tu regardes , tu ne vois plus rien , rien que la ligne de l’horizon , un espoir fané , pas même trahi .

 

             Tu sais , je ne sais pas te dire ce que je voudrais savoir te dire  , parce que ce que je voudrais te dire se trouve  entre les mots , les lettres . Ce que je voudrais te dire se trouve sur une simple intonation de voix , un contour éberlué , un mot déplié puis qui se replie et respire , et se déplie à nouveau , se connecte sur d’autres et repart , lourd de ses sens réunis , condensés dans ses lettres , ses ventres et ses hampes , un mot qui soit mélodie , apport nourricier , contour ouvert , comme une boucle qui laisse passer un creux , un espace .

 

              Je voudrais t’emmener là , au bord d’une boucle , juste sur son arrêt , l’instant qui attend le passage , la survenue , l’essentiel , l’essence , l’odeur , la couleur . Places toi là tout au bout d’une courbe et attend , tu verras venir des collines  , des mots qui se regroupent puis s’étirent , se condensent puis diffusent , s’écartent et forment travers , panneau indicateur , flèche de sens .





                                                    TOI                              MOI

                                                  

               Se tenir là , tout droit , bien raide , attentif , guetter  chaque lueur  de mot , d’attente , de mèche de cheveu , de silhouette perçue au loin et qui marche , court ou rit . De l’autre côté , sur l’autre berge , celle du bout , de l’autre bout , imagines un être , une tension , un écart , quelqu’un qui se place là  , tend la main , tu ne sais pas qui se trouve sur ce bord  , tu ne sais pas d’où il vient , tu sais qu’il vient du dedans de la courbe , mais pas plus .

 

              Courir ou marcher sur la courbe te forme le corps , les sens , les regards , courir ou marcher sur la courbe te donne un creux , une tenue , une zone un peu plus concave , un recueil et c’est dans ce recueil que tu trouves l’instant d’avant le mot , comme l’instant d’un cri , d’une émergence , mais un cri que tu ne dis pas , parce que tu n’as pas encore les mots . Cet être là se tient devant , bien debout , bien à l’écart , tu vois les flots qui passent , entre vous , des flots de clartés intenses  , de ténèbres , de gestes qui se déroulent et s’arrêtent , des gestes répétés , inutiles , qui ne tiennent plus sur une courbe ni sur rien d’autre .

 

              Entre lui et toi pas de regard , pas de mot , juste la courbe qui part à l’arrière , vous êtes chacun debout , sans vous voir . Juste sentir le creux qui vous sépare , vous tient debout . Je voudrais , lecteur que tu te places de l’autre côté de cette berge , de cet écart , de cette blessure , du rond initial et que tu te tendes là  devant , je saurais peut-être alors  te dire , trouver le langage qui porte , traverse le creux , l’espace qui sépare  , je saurais peut-être tenter l’impossible , rester debout , sans un mot , devant l’effort insensé .

Publié dans culture

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article